
Les Hydropathes
le club littéraire dont on boit les paroles Exemplaire
C’est l’un des secrets les mieux gardés de la rue Cujas. Il y a cent-quarante ans, un groupe fantasque d’artistes, de poètes et d’étudiants décide de se réunir les vendredis soirs autour de l’amour des mots – et du dégoût de l’eau – à l’étage d’un café à l’angle que fait la rue avec le boulevard Saint-Michel.
Emmené par l’auteur et poète Emile Goudeau, le club d’intellectuels fêtards déclame des vers, commente l’actualité littéraire et fait de la musique. Une activité qui leur amène très vite l’affection de la jeunesse… mais aussi l’animosité du voisinage. Goudeau propose alors à ses amis de se structurer et de prendre leur propre local. Fin 1878, au 19 de la rue Cujas, le Cercle des Hydropathes naît officiellement.
L’origine de son nom ? Un jeu de mots potache sur son président Goudeau et l’Hôtel Boileau, qui les avait accueillis, dilué avec une touche d’ironie sur leur penchant pour les échanges alcoolisés. Certains experts avancent qu’il s’agit peut-être d’un hommage à une valse allemande – quand d’autres, comme l’illustrateur Samuel Eckert, qu’il s’agirait en fait du nom d’un animal au corps plein d’écailles (et de pattes)…
En quelques mois, le Cercle devient l’un des plus populaires de Paris ; début 1879, les Hydropathes comptent jusqu’à trois-cent-cinquante membres, parmi lesquels l’actrice Sarah Bernhardt, l’illustrateur André Gill, l’humoriste Alphonse Allais ou encore l’académicien Paul Bourget. Pour consigner leurs écrits, Goudeau se lance alors dans un projet ambitieux : l’édition d’une revue poétique du Cercle. Là encore, le succès est immédiat.
"Il me semble que si j’avais 21 ans, je demanderais à entrer au Club des Hydropathes"Francisque Sarcey
« Il me semble que si j’avais vingt-et-un ans, je demanderais à entrer au Club des Hydropathes », signe le journaliste Francisque Sarcey dans le premier numéro de la revue, paru en janvier 1879. On comprend son enthousiasme : pendant une trentaine de numéros, l’Hydropathe propose un joyeux bric-à-brac littéraire dans lequel se mêlent poèmes romantiques, nouvelles décousues, revendications socio-culturelles, biographies des membres, blagues graveleuses et, bien entendu, éloge des libations. Le tout est encore très lisible : nous vous en recommandons d’autant plus la lecture que la Bibliothèque Nationale de France a mis en accès gratuit les archives de la revue.
Sans surprise, le Cercle disparaitra avec autant d’éclat qu’il était apparu. En 1880, Goudeau quitte le groupe après que des membres aient fait sauter des feux d’artifice derrière la salle où se réunissent les Hydropathes, déclenchant un mouvement de panique. Une explosion lumineuse et sonore : la fin serait appropriée pour un cercle poétique qui a traversé le ciel culturel de Paris avec fracas. Pourtant, leur philosophie n’a jamais été autant vivace qu’aujourd’hui. Voici un extrait de leur dogme :

Le premier numéro de la revue L'Hydropathe
La doctrine Hydropathesque consiste précisément à n’en avoir aucune. Le talent, d’où qu’il vienne, quelque forme qu’il revête, est accueilli à portes ouvertes. Le public réuni là juge silencieusement. Il aime l’un, déteste l’autre. Il suffit de se présenter pour être admis. Le public est notre juge en dernier ressort ; il n’y a qu’une Cour de Cassation qu’on appelle la Postérité, mais elle se réunit rarement du vivant de l’auteur.
Liberté, ouverture, jugement populaire. Plus d’un siècle après leur disparition, on peut se prononcer au nom de la Postérité : l’esprit des Hydropathes vit encore aujourd’hui. Nous vous invitons, modestement, à continuer à l’animer, dans le salon des Hydropathes au 18 de la rue Cujas.