
Le Procope, le café parisien qui a façonné nos sociétés
Nous avons une théorie : Les processus cognitifs du cerveau humain fonctionnent à une allure particulièrement réduite tant que l’on ne vous a pas servi de café.
Vous acquiescerez aisément si vous nous avez déjà croisés à jeun avant huit heures du matin ; pour autant, nous voudrions évoquer un exemple plus universel.
Voici l’histoire du Procope, le plus vieil établissement à avoir servi du café à Paris, et qui a été le berceau d’idées qui ont façonné les sociétés occidentales.

À la fin du XVIIème siècle, un proche du sultan Mehmed IV rend visite au roi de France et lui fait découvrir le café. La cour s’enthousiasme pour la boisson ; tout le monde veut désormais la goûter. Malheureusement, nous sommes encore loin du temps où des multinationales embaucheront des millions de personnes ne sachant pas orthographier un prénom sur un gobelet de cappuccino. À l’époque, seule une poignée d’Arméniens décide d’ouvrir à Paris des établissements dédiés à la consommation du café.
Grégoire est l’un de ceux-ci et, afin d’attirer la clientèle du monde du spectacle, il installe son bistro près du théâtre de la Comédie-Française, rue des Fossés-Saint-Germain, à neuf minutes à pied de l’actuel French Theory. Un garçon de café d’origine sicilienne, Francesco Procopio dei Coltelli, rachète son établissement en 1686. Il francise son nom en François Procope-Couteaux, rebaptise le lieu en Procope et le modernise avec brio :

L'escalier intérieur du Procope. (Photo officielle)
Les femmes y sont acceptées, alors que leur présence n’était pas autorisée jusqu’alors ;
Le rez-de-chaussée est transformé en un salon luxueux, orné de lustres de cristal, de tapisseries et de miroirs ;
Il y vend des glaces et spécialités italiennes, jusqu’alors inconnues en France ;
Il affiche la presse du jour autour d’un poêle central, ce qui séduit une clientèle d’intellectuels ;
Enfin, il propose une façon inédite de préparer le café : la boisson y est servie « à la turque », en faisant percoler de l’eau chaude sur un filtre rempli de café moulu.
Le succès est immédiat.Bravo François.
Tout au long du XVIIIème siècle, les philosophes, les artistes, les auteurs et les spectateurs se croisent sur les banquettes du Procope et échangent, stimulés par la boisson. Les idées et les débats fusent. Montesquieu va même jusqu’à l’évoquer dans ses fameuses Lettres Persanes : « Le café est particulièrement en usage à Paris (…). Dans quelques unes de ces maisons on dit des nouvelles, dans d’autres on joue aux échecs. Il y en a une où on apprête le café de telle manière qu’il donne de l’esprit à ceux qui en prennent : au moins, de tous ceux qui en sortent, il n’y a personne qui ne croie qu’il en a quatre fois plus que quand il y est entré. »

Le Procope. Au second plan : Condorcet, La Harpe, Voltaire et Diderot.
Parmi les autres habitués de l’établissement, on compte Rousseau et Diderot, qui y écrit des articles de sa célèbre Encyclopédie, ou encore Voltaire, dont la table préférée est toujours visible aujourd’hui, au premier étage. S’il était né à notre époque, le philosophe aurait d’ailleurs pu être le barista préféré des hipsters : il boit jusqu’à douze cafés par jour et collectionne les cafetières.
Le Procope est par ailleurs fréquenté par les intellectuels étrangers, qui en font le plus grand café littéraire du monde. La légende raconte que Benjamin Franklin y aurait préparé son projet d’alliance avec Louis XVI, et rédigé des éléments de la future Constitution des États-Unis. Les idées d’indépendance et de liberté infusent dans toutes les têtes.

Plaque commémorative installée au Procope. (Photo : Doreenworld)
Fin XVIIIème siècle, l’établissement devient le quartier général des instigateurs de la Révolution Française. Marat utilise la cloche au-dessus du café pour lancer les impressions de ses articles ; c’est aussi dans ses murs qu’il se réunit avec Danton et Robespierre, que le bonnet phrygien est présenté pour la première fois, et que l’ordre d’attaque du Palais des Tuileries est lancé… Le docteur Guillotin habite d’ailleurs dans la même rue, au numéro 21.
Après les révolutionnaires, ce sont les écrivains et les poètes qui investissent les murs du Procope au XIXème siècle. La liste des clients a des airs de bibliothèque idéale : Sand, Musset, Verlaine, Daudet, Balzac, Anatole France, Oscar Wilde, Théophile Gautier ou encore Victor Hugo viennent y discuter autour d’un café. Malheureusement, le prestige du lieu ne le met pas à l’abri de difficultés financières. Les propriétaires ont du mal à le rentabiliser, et l’établissement ferme ses portes en 1890.

La salle du Procope aujourd'hui. (Photo officielle)
Les tristes années qui suivent voient se défiler les repreneurs, les changements de noms et les fermetures. Aujourd’hui, la Comédie-Française a déménagé. La rue des Fossés-Saint-Jacques est devenue celle de l’Ancienne-Comédie. Le Procope, lui est toujours là. Le toit du bâtiment et ses balcons en fer forgé ont même été inscrits aux Monuments Historiques.
Depuis 1957, le café littéraire a cédé la place à un très bon restaurant. La mémoire des lieux y est conservée de façon vivace, et pas seulement parce qu’on y sert une fameuse tête de veau en cocotte comme en 1686. Bien sûr, vous pourrez y voir un chapeau de Napoléon, que l’Empereur aurait laissé en gage ; oui, vous admirerez des documents évoquant la Révolution. Mais le plus beau trésor du Procope restera invisible.
Pour paraphraser Camille Desmoulins, « ce café n’est point orné comme les autres de glaces, de dorures et de bustes, mais il est paré du souvenir de Grands Hommes qui l’ont fréquenté et dont les ouvrages en couvriraient les murs s’ils y étaient rangés.» Nos sociétés modernes doivent toutes quelque chose à des esprits qui, dans l’effervescence d’une salle parisienne, ont fonctionné un peu plus vite grâce à une boisson chaude et amère. Et ça, c’est une idée que l’on trouve aussi réconfortante qu’une bonne tasse en plein hiver.
Procope, maison fondée en 1686
13 rue de l’Ancienne Comédie, Paris VI
Le Procope n’est plus un café littéraire, mais consolez-vous : à quelques minutes à pied, French Theory propose un café de spécialité élaboré avec le torréfacteur parisien Coutume, accompagné d’une programmation culturelle tout autant stimulante. Nous serons ravis de vous recevoir, autour d’une tasse, pour refaire le monde.